Story

- Comment on peut l'appeler ? demanda Alison à l'homme qui se tenait à sa droite. Elle tenait dans ses bras un enfant, une petite fille, à peine née, et cette fille, c'était son enfant. Enfant qu'elle avait eu à 19 ans, à l'arrière de la voiture d'un gosse de riche rencontré dans le bar où elle était serveuse. Elle ne l'avait jamais revu, après la fois où, pleine de joie, elle lui avait annoncé l'heureux évènement. Elle s'en souvenait encore. Il l'avait dévisagée d'un air de dégoût, puis avait craché d'un ton dédaigneux que ce serait sans lui. Il avait tourné les talons, et était sorti du bar, laissant Ali, stupéfaite et morte de honte. Et neuf mois plus tard, le 4 juillet, jour de fête nationale, leur enfant était là. Pendant neuf mois, Ali avait espéré que le père de l'enfant, dont elle ne connaissait que le prénom, Scott, allait revenir, pour changer d'avis... Mais non. Il ne voulait pas d'elle... Pas d'elles.

- Bah, j'en sais rien moi, c'est ta fille... T'as pas eu le temps de chercher, en neuf mois ? lui rétorqua Stan, son frère, d'un ton qui montrait clairement qu'être réveillé à 4h15 du matin pour la naissance de sa nièce l'emmerdait. Lui n'avait pas d'enfant, et n'en voulait pas avant, au minimum, ses 35 ans. Sa femme était du même avis que lui ; et même connaissant le caractère débauché d'Ali, ils avait tous les deux été très surpris d'apprendre la grossesse de la jeune fille. Elle venait de Los Angeles, elle était arrivée ici deux jours plus tôt, enceinte jusqu'aux yeux. Elle avait traversé la Californie, l'Arizona, le Nouveau Mexique, le Texas, l'Oklahoma et le Missouri, avant d'arriver dans le Kentucky, et de rejoindre Louisville, tout ça en stop. Les premiers jours, elle avait pris le train, mais ses maigres économies n'avait pas suffit à faire tout le trajet, comme elle l'avait espéré. Elle avait dormi dans des motels pourris, à l'arrière d'une voiture, dans le plateau d'un pick-up... elle avait fait tout ce chemin pour venir jusqu'ici, dans la ville de son enfance, pour prévenir la famille qui lui restait que bientôt, elle serait mère... Mais, bien qu'ils aient accepté de l'accueillir sous leur toit, et qu'ils aient été surpris par la nouvelle, Stan et sa femme Megan n'en avaient rien à faire... Si elle était comme sa mère, cette petite aurait la vie dure.

- Tu veux pas l'appeler comme maman ? Ou comme une de nos grands-mères ? Ou, j'en sais rien, moi, comme la caissière du Wal Mart où tu fais tes courses ? lui proposa-t-il d'une voix ironique.

- Oh, Stan, arrête ! Si c'est pour être comme ça, tu peux te barrer, j'ai pas besoin de ton aide ! cria la jeune femme. Le bébé se réveilla, et se mit à pleurer. Stan lança à sa soeur un regard narquois, puis s'assit sur la chaise en simili cuir bleu foncé à côté du lit. Il ouvrit un magazine et commença sa lecture, ignorant royalement Alison qui essayait de calmer la petite en lui chantant une comptine. A ce moment, une infirmière, qui avait entendu des éclats de voix sortir de la chambre 458, entra en ouvrant grand la porte. Sur sa robe d'infirmière, un badge avec son nom était accroché. 'Kerri' disait-il. La jeune mère ouvrit la bouche, puis, avec un petit sourire, elle murmura : Je crois que j'ai trouvé le nom de ma fille. Elle s'appellera Kerri... comme ma meilleure amie d'enfance... Kerri... Se tournant vers le visage de l'enfant qui s'était calmée et la regardait de ses grands yeux, elle continua : Tu aimes ce prénom, ma puce ?


C'est le seul souvenir de ma mère qu'on m'a raconté. Stan et Megan m'ont raconté combien elle semblait heureuse, et combien elle était fière d'avoir trouvé un prénom, et comment elle avait l'air de m'aimer... Au début, je ne comprenais pas pourquoi elle m'avait abandonnée. Si elle m'aimait, si elle était était heureuse, si elle était fière ? Tant de questions, auxquelles je n'avais pas de réponses, se bousculaient dans ma tête. C'est quand j'ai eu 16 ans qu'ils m'ont annoncé que je n'étais pas leur fille.
Pendant toutes ces années, ils avaient menti, prétendant qu'ils étaient mes parents, et s'étonnant que je sois blonde comme les princesses de Disney alors qu'ils avaient tous les deux des cheveux foncés. Moi, évidemment, je les avait cru... Je les avait aimés, je les avait appelés Papa et Maman. J'étais toute fière de dire à mes copines, en montrant Megan, une grande femme mince et belle, que c'était ma mère. Qu'elle était avocate, et qu'elle avait une collection de 46 paires de chaussures. J'étais toute aussi fière de raconter que mon père, c'était cet homme, qui faisait tant d'effet à toutes les mamans présentes, et qu'il avait deux grosses voitures, ainsi qu'une maison dans les Hamptons.
Et soudain, tout s’effondrait. J'apprenais que mon père, un fils à papa bourré aux as, avait certainement lui aussi des maisons dans les Hamptons, mais avec une autre femme, des autres enfants. Que ma mère était une serveuse dans un 'bar d'ambiance', comme ils m'avaient dit, pour ne pas me choquer, et ne pas me dire qu'elle était streap-teaseuse, voire même prostituée... Qu'elle vivait dans un appartement vétuste qu'elle partageait avec trois autres 'collègues' à South Central. Qu'elle n'avait pas voulu m'élever, qu'elle m'aimait trop pour vouloir que je vive dans un monde comme ça. Et que ma soeur Carolina n'était en fait pas ma soeur.

C'est à partir de ce moment-là que les choses ont mal tourné pour moi. Je pense que Stan et Megan savaient que je le prendrais mal, et c'est pour cette raison qu'ils me l'ont caché si longtemps. Je ne les ai plus jamais vus de la même manière. Ces gens que j'avaient tant aimés devenaient mes ennemis numéro un. Ils m'avaient menti, manipulée, couverte de cadeaux pour que je ne me rende compte de rien. J'ai pendant quelques temps cherché ma mère, mais, évidemment, dans une ville aussi grosse que Los Angeles, des Alison Edwards, il y en avait des centaines. Stan et Megan n'avaient gardé aucun contact avec elle. Et puis, elle avait certainement déménagé depuis. Quand j'ai compris que je n'avais quasiment aucune chance de la retrouver, j'ai fait une dépression. Je n'avais plus goût à rien, j'ai perdu ma joie de vivre, mes amies, mon petit ami, tout. Je suis devenue anorexique. Alcoolique. Violente. Vulgaire. Je n'ai jamais été une droguée, mais j'ai bien failli. Mes 'parents' ont tout essayé pour me sortir de là. Ils savaient que ce qu'ils avaient fait était affreusement odieux, et je pense sincèrement qu'ils regrettaient de me l'avoir caché. Je suis allée voir des psychiatres, je suis allée en centre de désintox, ils ont même essayé de m'envoyer dans des camps d'été pour 'renouer avec la religion'... Ils ont tout essayé, et je crois que ça m'a touché, parce que petit à petit, j'ai guéri. Ca a été très long, c'était difficile, mais ça en valait la peine. J'avais 18 ans, quand j'ai été quasiment guérie... Je suis restée anorexique, mais à part ça, j'étais en forme. Alors ils m'ont payé un billet d'avion simple pour Los Angeles, et un mois de loyer dans une résidence pour jeunes. Il fallait que j'aille retrouver ma mère... Une nouvelle vie m'attendait là-bas, au près de ma mère.

Quand je suis arrivée, j'ai payé un détective privé pour la retrouver. Ca n'a pas marché, et il m'a pompé la moitié de l'argent que Stan et Megan m'avaient donné. Alors j'ai écumé les bars, les boîtes de nuit, les boîtes de streap-tease, pour savoir si quelqu'un avait entendu d'une certaine Alison Edwards. Je ne l'ai pas retrouvée, mais certains des propriétaires de boîtes en avaient entendu parler... D'ailleurs, je lui ressemblait beaucoup, à ce qu'il paraissait. Plusieurs m'ont offert de travailler pour eux, mais j'avais l'impression qu'avec l'argent que j'avais, je n'en aurais pas besoin. J'avais l'impression que Stan & Meg avaient donné énormément d'argent, alors j'ai dépensé sans compter... Et bien sûr, je me suis vite retrouvée sur la paille... J'ai recherché du boulot partout avant de me tourner vers le streap-tease : serveuse, livreuse de pizza, caissière, vendeuse de chaussures, babysitter... Mais je n'ai pas trouvé. J'ai vécu quelques temps sur l'argent qu'ils m'avaient donné pour que je puisse revenir à Louisville si j'avais envie, mais j'ai compris que ça me permettrait de vivre quoi, quelques mois maximum. Il me fallait de l'argent, alors je suis retournée voir un des gars qui m'avait proposée du travail, résignée. Le pire dans cette histoire, c'est qu'en venant à LA, j'avais l'impression que j'allais retrouver ma mère, qu'on allait apprendre à se connaître, qu'on serait heureuse toutes les deux... & je n'ai trouvé qu'un job de streap-teaseuse mal payé.