Nous sommes en mars 1983. Randy et Nina habitent tous deux la Nouvelle-Orléans, mais Nina est arrivée de France il y a une année de ça. Tous deux ont 15 ans. Tous deux ont un vécu familial très lourd. Randy et Nina boivent et fument énormément. Ils se sont rencontrés au mois de Décembre, dans une petite salle qui accueillait ce soir là un bon groupe de jazz. Ils avaient des amis en commun et se sont mis à zoner dans le même quartier de la ville. A peine trois mois plus tard, ces deux là étaient inséparables. Ils ne se voyaient plus vivre l'un sans l'autre. Et tout ce à quoi ils aspiraient était la musique, la drogue, l'alcool. Nina au chant et sur son piano, Randy au saxophone ou à la guitare... Toujours dans un petit squat, à se faire des lignes, à fumer des joints, à boire verre sur verre. Ils avaient un rythme de vie très dangereux. Mais ils s'en foutaient; ils s'aimaient.

Plus les années passaient, moins ce rythme plaisait à la jeune femme. Elle ne voulait pas finir complètement dépravée, non, elle voulait faire carrière. Et ce avec l'homme qu'elle aimait malgré ses défauts. Elle s'accrochait à sa musique, s'investit dans les études, arrêta définitivement les drogues dures et la consommation excessive d'alcool. Randy ne l'avait pas aidé, à vrai dire, il ne comprenait même pas pourquoi elle faisait ça. Puis un jour, elle vint lui parler de quelque chose : Elle voulait une belle vie avec lui, avoir une maison, des enfants... Des gosses ? Hors de question pour Randy. Tout ça provoqua de nombreuses tensions, si bien que le couple dû rompre. Néanmoins, Randy revint vers Nina quand il apprit qu'elle était enceinte. Il était trop tard pour avorter et il ne voulait pas la laisser seule.

Quelques mois plus tard naissait Rachel, ma grande soeur. Et Randy l'aimait de tout son coeur, si bien qu'il décida d'arrêter les drogues dures, non sans peine, mais il y arriva. Lorsque Nina tomba enceinte pour la deuxième fois, il ne cacha pas son mécontentement et fit tout son possible pour qu'elle avorte. En vain. C'est ainsi que cette chère Nina donna naissance à Callixte Aaron Marshall. Je porte le nom de mon père, mais contrairement à Rachel, je n'ai pas eu la chance d'être aimé dès le premier regard qu'il posa sur moi. Rachel était une bénédiction. Moi, j'étais un bébé à emmerdes. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais quand il s'agissait de moi, mon père disait toujours à maman : 'Débrouille toi. C'est toi qui le voulait ce gosse'. Ce qu'il n'a pas compris, c'est que moi, je n'ai rien demandé. Jamais rien demandé.

Je commençai à grandir, ma mère était devenue secrétaire. Toujours avec l'espoir qu'un jour, c'est sa voix et sa musique qui la rendrait connue de tous. Quant à mon père, cela lui brisait le coeur mais il renonça à tous ses rêves de gloire. Il se penchait à nouveau sur son amour pour l'alcool et pour la weed... Ce qui fut la cause de nombreux conflits entre mes parents, qui se tapaient sans gêne devant nous. Mais un jour, mon père frappa trop violemment ma mère à mon goût. Je me mis à pleurer. Là, j'ai bien cru que ma vie allait se finir alors que je n'avais que cinq ans. Mon père m'hurla dessus et me frappa comme s'il avait à faire à un homme. La police débarqua pour la première fois chez nous, et pas pour la dernière... Cela s'est reproduit souvent. Bien trop souvent.

L'année d'après, je trouvai enfin un échappatoire : Le piano dans notre maison était sublime. Ses notes parfaites. Maman se faisait plaisir en m'apprenant quelques morceaux et en m'offrant des cours. Le cas de papa s'aggravait : il rentrait tous les soirs bourré et complètement déchiré. Je ne doute pas qu'il ait retouché à l'extasy, la coc' et tous ces trucs dégueulasses...Je le détestais. Du plus profond de mon âme. Lui ne m'aimait pas non plus. Alors je ne le regretta pas quand maman le quitta et le vira de la maison un peu après mes 12 ans. Tout irait mieux sans l'homme qui battait sa femme, sa fille et son fils. Bon, en même temps j'allais pas me plaindre; à la Nouvelle-Orléans, j'étais certainement pas le seul gamin dans ce cas. Y'avait même pire que moi, bien pire ! Mais le piano me maintenait en vie depuis six années maintenant. Quand rien n'allait et que j'étais seul, en général, je me défoulais dessus. Je composais. Je faisais tout mon possible pour que les notes transmettent tout ce que je refoulais au fond de moi.

A 13 ans, mes potes et moi commençions à nous trouver tels que nous voulions être. Certains devenaient rastas, d'autres punks, les autres se lançaient dans le rap, d'autres tentaient de s'en sortir malgré le milieu dégueulasse qui nous entourrait... Mon meilleur ami et moi, on avait une petite pointe d'excentricité qui nous démarquait un peu des autres. J'étais le seul mec qui se maquillait encore mieux qu'une fille et qui parlait pourtant comme tous les gars du ghetto. Mon meilleur ami, quant à lui, se démarquait par ses couleurs de cheveux et ses piercings. C'est aussi à cet âge que je me trouvai un peu mal à l'aise avec les jeunes de mon âge, et que je me mis à traîner avec des plus vieux. Beaucoup étaient des punks, enfin, "beaucoup"... En Nouvelle-Orléans, c'est pas ce qui court le plus les rues, mais on était tout de même une belle petite bande. Je commençai à fumer. Ca m'dérangeai pas trop à vrai dire... Même si ma soeur et ma mère éspèrait bien que je ne toucherai jamais à ça. Malheureusement c'était ainsi et pas autrement.

Avec Rachel, dès l'année suivante, on devait passer au moins deux week ends par mois chez papa. C'est drôle, comme il avait... Changé. Il tentait d'être un bon père. Ca m'amusait. Mais malgré ma rancoeur, je ne pouvais lui en vouloir. C'était mon père. Et la tolérance, le pardon sont des valeurs très importantes pour moi... Il commença à m'apprendre le saxophone. C'était mes petits moments privilégiés avec mon père. Quand Rachel lui apprit que je fumais, il me demanda si je touchais à l'alcool ou si je fumais autre chose que du tabac. A ce moment, ce n'était pas le cas. Il me disait que j'étais la prunelle de ses yeux, qu'il était désolé pour tout, qu'il ne voulait pas que je devienne comme lui. Mais peu après, un soir, il rentra bourré... Et le cauchemar commença. Deux jours après, lors d'une soirée, je me mis à boire. Je buvais comme un trou, je fumais de l'herbe, j'adorais ça. Je me sentais vivre. Et je le mis dans la gueule de papa, un jour. "Je suis en voie pour devenir quelqu'un d'encore plus dégueulasse que toi, et c'est ta faute. J'éspère que t'es fier de ton fils, papa. Merci pour tout !" Pour la première fois, je vis mon père pleurer.

Je me coupais de ma famille. Je passais mes journée à boire, à fumer, je n'allais même plus en cours, et quand j'étais pas avec des potes, je jouais du saxo ou du piano. Plus le temps passait, plus je devenais une épave... Jusqu'au jour où ma mère n'en pu plus. Sous l'énervement, elle me mit à la porte. En balançant toutes mes affaires. Une semaine s'écoula sans que j'eu de nouvelles. Puis elle m'appela en s'excusant et en me demandant de revenir. J'avais 17 ans. Cette semaine, je m'étais fait ma première ligne de cocaïne. Je ne voulais pas arrêter. Et je voulais aller encore plus loin... Sans faire de mal à maman. Alors je lui ai simplement dit que je voulais partir, que la Nouvelle-Orléans était mauvaise pour moi. Qu'on m'avait proposé de continuer ma musique à Los Angeles. Maman savait que c'était le seul truc qui pouvait me sortir du pétrin, alors elle n'hésita pas et me laissa, en me disant qu'elle m'enverrait un peu d'argent et que je devrais me trouver un petit boulot. Elle avait confiance en moi et je m'en voulais de faire ça, mais j'étais destiné à devenir une épave. Vallait mieux le faire loin d'elle, loin de tous... Je partais dès lors m'installer à LA, dans un p'tit appart avec un pote. Voilà mon histoire, en gros.