«On ferme…» Les yeux figés sur ce verre dans lequel se trouvait un fond d'alcool, je me mis à rire en entendant le gérant. C'était la cinquième fois qu'il me le répétait, et c'était la cinquième fois que je lui demandais un autre verre et il le faisait. Amenant le verre à mes lèvres, je le déposai brutalement sur le comptoir, glissant quelques billets à côté avant de quitter ce tabouret et de me tenir au comptoir. Encore une fois, je rigolais et encore une fois, j'étais saoul. Mais je m'en foutais car je me sentais bien, je ne sais même plus pourquoi j'étais venu là, je me rappelais juste de ce gérant qui n'avait pas refusé de me saouler, bien au contraire j'avais même du faire remonter sa moyenne quotidienne. Enfin qu'importe, je me foutais royalement de tout cet argent, je ne comptais d'ailleurs par rentrer avec ma propre voiture, non j'avais appelé un taxi. Ouais il me restait encore quelques idées intelligentes dans ma tête malgré le taux d'alcoolémie que j'avais dans le sang. Le pire dans tout ça, c'était ma tête, elle ne tournait même pas, elle sautait dans tous les sens. A chaque pas, une détonation retentissait à un endroit différent, me faisant perdre l'équilibre et m'obligeant à tendre les mains pour retrouver l'équilibre en me tenant à cette barrière.
C'est d'ailleurs adossé à cette barrière que j'avais attendu mon taxi, il n'avait pas fait long et le chauffeur avait du remarquer mon état pour qu'il sorte de son véhicule de travail et m'aider à grimper dedans. Lamentable vous dites? Peut-être bien et alors… je n'étais pas aussi lamentable que le soir où je l'avais trompée. J'y repensais toujours car d'une manière ou d'une autre, mon regard se posait sur nos deux anneaux que j'avais glissés à mon collier. Je les voyais dans le reflet de la fenêtre du taxi, tout comme je la voyais elle en train de me hurler dessus et d'enfiler mon blouson pour prendre l'air. Je savais qu'elle reviendrait, elle ne serait jamais partie sans mon blouson sinon, lorsqu'elle le prenait c'était pour réfléchir tout en imaginant que j'étais auprès d'elle. C'est fou ce que l'on apprenait dans un journal vous savez. J'avais dit à ma mère que je connaissais Kristina, mais au fond j'ignorais beaucoup de choses, chacune de ses manies avaient une signification et c'en était que plus difficile lorsque je tombais sur quelque chose lui appartenant. En fait ça me faisait mal, mais ça me faisait du bien, j'arrivais à me rappeler de son rire et de cette moue qu'elle avait tendance à me faire lorsque je me foutais de ses petites habitudes.
Ce soir dans ce taxi, j'avais mal. Et pour une fois, ce n'était pas parce que je m'en voulais, mais parce qu'elle me manquait, tout simplement. Il y avait ces soirées où je n'avais pas la force de rentrer dans notre maison car elle n'était pas là. Les mois ont passé et pourtant, c'est impossible d'oublier et même si la meilleure des choses aurait été de quitter cet endroit que l'on avait acheté avant notre mariage, je ne le voulais pas. Il y avait des choses que je devais terminer, comme par exemple changer la couleur des murs de notre chambre, installer ce fichu pommeau de douche à fonctions multiples qu'elle avait acheté pour pouvoir profiter de massages puisque j'étais trop flemmard pour lui en faire. J'en souriais mais j'en souffrais en même temps et c'est pour ça que ce soir, je ne rentrais pas chez moi. J'allais chez Célia. Je ne savais pas pourquoi elle était autant décidé à m'aider, j'étais loin d'avoir été agréable avec elle. Je la connaissais depuis assez longtemps pour savoir que le malheur des autres la touchait, mais je ne désirais pas qu'elle soit obligée de me voir dans mes états. Je ne voulais pas qu'elle m'entende parler de Kristina car au fond, elle avait été touchée elle aussi. Kristina avait été une amie avec qui elle avait travaillé et leur amitié était sûrement l'une des choses à laquelle tenait le plus Kristina.
Cependant ce soir, j'avais décidé d'aller chez elle. Je refusais son aide mais je venais chez elle, vous aussi vous tentez de chercher la logique dans tout ça? N'essayez pas de chercher, ça fait longtemps que je ne cherche plus à me comprendre et c'est mieux ainsi. Célia avait l'habitude de ces passages inattendus, peut-être un peu trop au final. J'étais égoïste dans un sens car elle avait une vie elle aussi, elle avait même adopté une fille. Je ne l'avais encore jamais vue d'ailleurs et c'était mieux, voire une enfant était la chose la plus difficile qui soit. En sortant du taxi, je laissai le change au chauffeur, puis m'étais dirigé vers la villa de Célia. Les lumières étaient éteintes mais ça ne m'avait pas arrêté et mon doigt avait alors insisté à plusieurs reprises sur la sonnette. Quelques minutes plus tard, je vis une lumière s'allumer, puis une autre… et enfin, la porte s'ouvrir avec une Célia que je venais de tirer du lit. Les lèvres serrées et les yeux rougis par l'alcool mais aussi par ce que je refusais de faire sortir de mes yeux, j'avalai ma salive et tout en souriant faussement, je me mis à parler «Elle me manque un peu trop ce soir…»

Finir de quoi? De boire alors que c'était bien l'une des seules choses qui me permettait de l'oublier l'espace de quelques heures? Non, je n'en avais pas fini et ça ne serait pas demain non plus. Que faire quand une partie de vous vous demandait d'oublier tout ce qu'il s'était passé et que l'une restait indéniablement accrochée au passé parce qu'au fond, c'était tout ce dont vous aviez rêva de garder auprès de vous dans votre avenir. Comment tirer un trait sur une personne qui était devenue votre femme deux semaines avant de mourir dans un accident de voiture? Comment l'oublier alors que c'était une personne avec qui vous vous étiez promis de vivre et de l'aimer… jusqu'à ce que la mort vous sépare. Cette phrase était stupide maintenant que j'y repensais, car il n'y avait pas de suite. Est-ce que ça voulait dire qu'une fois séparés, j'étais censé l'oublier, vivre avec une autre et en aimer une autre sans même penser à celle avec qui j'avais prêté serment? Je ne pense pas non, j'en suis même sûr il suffisait de regarder dans quel état je me trouvais et ça, même après des mois. Car oui, ça ne datait pas d'hier, ça allait bientôt faire un an, un an que je trainais les mêmes habitudes, un an que je pourrissais ma vie à ne rien faire. Je n'avais même plus de renom dans le monde littéraire, celui qui avait écrit deux thriller au succès incroyable s'était enterré au même moment que l'on avait enterré sa femme. Une part de moi était morte sous terre pour prendre soin d'elle tandis que l'autre habitait en moi en cherchant à me détruire et j'avais l'impression que petit-à-petit, elle y arrivait.

Même lorsque Célia ouvrit la porte je remarquai sur son visage un manque évident de surprise. A chaque fois que je la voyais, j'essayais de trouver quelque chose dans sa manière d'être qui me montrait que j'allais mieux, mais apparemment elle me voyait m'enfoncer de plus en plus et lorsqu'elle m'aidait, je retournais tout, je m'emportais et lui donnais tort sur tout ce qu'elle disait. J'avais un sérieux problème et je ne savais pas en trouver la source. La mort de Kristina aurait pu l'être, mais jamais sa mort ne m'aurait poussé à rester aussi longtemps enchaîné à l'alcool et à des envies peu claires. Il y avait autre chose mais je ne le trouvais pas, et lorsque tentais de chercher, je me faisais mal. Je cherchais à trouver mes erreurs, je cherchais à repenser à elle comme je ne devais pas le faire. Beaucoup trop de choses me revenaient quand j'essayais de replonger dans le passé et je faisais que souffrir davantage. En entendant Célia me parler, j'avais remarqué que j'étais entré chez elle sans réellement m'en rendre compte, je la vis adosser à la porte avant de la quitter et et se diriger vers le salon. Je la suivis lentement sans faire le moindre commentaire sur ce qu'elle avait dit, après tout je ne pense pas que c'était de ma faute si je pensais à Kristina.

En temps normal, j'aurais été gêné de la déranger à ces heures pareilles, mais les temps ne l'étaient pas et même en la voyant se frotter les yeux et replacer ses cheveux, je ne voyais aucun problème à être là. «Peut-être qu'un jour j'en trouverai un qui restera ouvert toute la nuit, ça t'évitera d'être réveillée en plein milieu de la nuit et ça m'assurera de l'oublier pendant plus qu'une heure. Quoique même si j'étais dans un coma éthylique, j'arriverais encore à penser à elle» dis-je tout en m'approchant d'elle ou plutôt, en partant en direction du canapé où j'étais certain de réussir à m'asseoir sans tomber à gauche ou à droite. Une fois fait, je laissai tomber ma tête en arrière en fermant les yeux, cachant mon visage à l'aide de mes mains afin d'essayer de voir les choses un peu plus claires. Il y avait bien eu vingt secondes de blanc avant que je ne me mette à parler… «Tu sais, je m'étais arrêté dans ce bar juste pour boire un peu, pas pour y passer la soirée. Mais j'ai l'impression qu'importe où je vais, il y aura toujours quelque chose pour me faire penser à elle. Une femme a commandé un bloody-mary comme beaucoup d'autres femmes et pourtant, j'ai tout de suite pensé à elle. Je suis resté figé à regarder mon verre en l'imaginant boire ce cocktail, à faire tourner sa paille tout en regardant les gens qui nous entouraient. je me suis rappelé du temps qu'elle mettait à terminer son verre, de son sourire qu'elle me faisait lorsque je me plaignais parce qu'on allait être en retard. Ouais parce qu'avant d'aller au cinéma, on allait toujours se boire un verre avant et à chaque fois elle prenait la même chose. Je n'ai jamais pensé à lui demander pourquoi car au fond elle n'aimait pas faire comme tout le monde.» Je redressai lentement mon visage puis regardai Célia, me mordant l'intérieur de la joue avant de rigoler… seulement je ne sais pas vraiment pourquoi, peut-être la fatigue ou le fait que je sois saoul. «Quelques jours après que l'on se soit mariés, elle m'avait demandé pourquoi je l'avais épousée et je lui avais répondu que c'était simplement celle qu'il me fallait… et hier après-midi en relisant son journal, j'ai relu les cinq pages et demie qui disaient pourquoi elle m'avait épousé. Elle ne cherchait jamais à en avoir plus de moi alors qu'elle, elle s'ouvrait du mieux qu'elle le pouvait et jamais je n'ai fait l'effort de faire la même chose. Et le pire c'est qu'elle appréciait ça chez moi, elle aimait ça parce qu'apparemment ça lui donnait des raisons de m'en vouloir si on se disputait, ce serait des arguments à citer pour que je ne cherche pas à avoir raison.» Je me râclai difficilement la gorge en ouvrant un peu plus les yeux, faisant passer ma langue d'un coté de l'autre de la bouche avant de soupirer. Mes yeux fixaient Célia et comme souvent, j'avais l'impression qu'elle le savait déjà. Juste une impression? Non, même une certitude mais ça me faisait du bien, aussi mal mais plus de bien que de mal de parler.

Je n'avais jamais pensé à ce que Célia ressentait, après tout j'étais toujours venu chez elle pour me confier, m'énerver ou encore détruire quelque chose. J'avais énormément changé depuis que j'avais enterré Kristina,j'étais devenu un égoïste qui se foutait de tous ceux qui l'entouraient. Le genre de personne qui ne pense qu'à sa propre personne parce qu'il est évident que j'étais celui qui souffrais le plus. Peut-être que je souffrais le plus, mais ce n'était pas pour autant que je devais oublier les autres. Seulement j'avais décidé de tous les envoyer chier, je leur avais dit à tous que je n'avais pas besoin d'eux et que je ne comptais pas leur parler car ils me donnaient envie de rejoindre Kristina tellement ils étaient faux. C'était la tristesse qui avait parlé, mais je devais avouer que de voir des personnes qui n'avaient pas répondu aux invitations pour notre mariage ne m'avaient pas donné l'envie d'être clément. Les gens pensaient que parce que l'on connaissait une personne, on avait le droit de pleurer pour elle, que l'on avait le droit d'attirer l'attention sur soit pour montrer que l'on avait perdu quelqu'un de cher mais c'était faux. Ce genre de personnes, j'en avais vues à l'enterrement, j'avais vu leur visage détruit alors que moi, j'avais essayé de tenir le coup pour que l'on regarde Kristin partir comme elle l'aurait désirée… mais non, certains avaient eu besoin de craquer littéralement alors qu'ils n'avaient jamais pris des nouvelle d'elle.

J'avais réagi de la même manière avec Célia, j'avais été dur avec elle et pourtant, elle n'avait jamais abandonné. Elle avait fait beaucoup de choses pour Kristina, des choses que je n'aurais pas fait. Elle avait été une personne importante dans la vie de celle que j'aimais et peut-être que c'était pour ça que j'avais cessé de la repousser, car elle ne le méritait pas. Elle n'avait pas non plus mérité de perdre sa meilleure amie ou du moins, je pense que c'est le mot qu'aurait utilisé Kristina pour définir celle avec qui elle avait travaillé de nombreuses fois, celle avec qui elle m'avait délaissé pour allez faire des boutiques tout un week-end. Je pensais trop rarement à Célia et c'était de l'égoïsme pur et dur. Le pire dans tout ça c'est qu'en la regardant, elle ne montrait aucun signe d'exaspération, elle me regardait en comprenant, mais au fond je voyais bien qu'elle souffrait… et moi jamais je n'avais eu l'idée de lui demander comment elle allait. Peut-être que c'était mieux car ça faisait un an, et que contrairement à moi elle avait su se faire une raison, elle avait réussi à passer ce pas que moi, j'étais incapable de passer, je n'étais même pas capable d'imaginer le passer.
J'avais tellement peur de le ressentir comme une trahison envers Kristina. Mais apparemment j'étais le seul à le voir de cette façon et lorsque Célia m'avait rejoint sur le canapé en prenant délicatement ma main, je l'avais écoutée… Elle m'avait déjà dit ça mais je ne m'en rappelais plus, c'était peut-être l'avantage d'être bourré… ou pour elle d'insister sur les mêmes points en espérant qu'un jour, ça rentre dans mon crâne. «Ceux qui peuvent l'oublier, ce sont des gens qui ont de la chance… car ils n'ont pas à se rappeler de tout ce qu'elle était, que ce soit pour elle ou pour les autres.» Je n'avais pas de chance sur ce coup, mais je ne m'en plaignais pas. Je ne comptais pas l'oublier de toute façon et pourquoi? J'avais aucune raison de tirer un trait sur les neuf ans que j'avais passés avec elle. En entendant Célia, je secouai négativement la tête avant de poser mon regard sur l'écran de la télévision éteinte. Non je ne savais pas ce qui lui faisait mal puisque je ne lui l'avais jamais demandé et en l'écoutant, mes yeux tombèrent sur mon alliance, imaginant alors Kristina. Elle ne poserait même pas le regard sur moi si elle était devant moi, elle me haïrait même peut-être plus que lorsque je l'avais trompée mais au fond, qu'est-ce que ça fait? Elle était morte et même si je suis tout ce qu'elle détestait, elle n'était pas là pour me voir. Célia le pouvait elle mais qu'importe, je n'allais pas remonter la pente parce qu'elle l'aurait voulu, car moi je voulais qu'elle soit là, à mes côtés et elle ne l'était pas. J'observai Célia quitter le canapé et se lever, s'attardant sur quelque chose avant de clore ce qu'elle avait à me dire. Je rigolais, non pas parce que c'était drôle mais parce que c'était vrai, seulement encore une fois… je n'avais pas à être différent car Kristina n'était pas là pour voir que je détruisais ma vie et que je me foutais en l'air comme jamais je ne l'aurais fait. «… mais elle n'est pas là Célia. Je n'ai rien à prouver à personne. J'ai pas de vie parce que ma femme s'est tuée dans un accident de voiture après que j'aie fait la plus grosse connerie de ma vie» Je me levai, plissant les yeux pour empêcher de sentir quelque chose glisser le long de mes joues. «Dis-moi pourquoi je mériterais d'aller mieux et de vivre ma vie alors que c'est à cause de moi qu'elle est sortie faire ce tour en voiture. Dis-moi pourquoi je mériterais d'être celui qu'elle veut quand elle n'est plus là pour voir celui qu'elle aimait. Moi aussi j'aimerais des choses, j'aimerais l'avoir retenue ce soir où elle est partie, j'aimerais ne l'avoir jamais trompée et surtout… j'aurais aimé savoir qu'elle était enceinte.» Je m'étais laissé emporter par mes émotions, l'alcool faisait effet mais ma culpabilité n'arrangeait pas les choses. Je serrai chacune de mes mains en refermant on visage, donnant un coup de pied dans la table basse du salon. «Si on commence à penser à ce que les gens voudraient, alors on est loin d'en avoir fini.» Soufflant je la regardai toujours dos à moi, passant une main dans ma nuque pour tenter de me calmer. «Tu sais Célia, j'essaie de me dire qu'en reprenant les choses en main, les choses iraient mieux… Mais le problème c'est que j'ai pas envie, j'ai déjà de la peine à me lever pour tenter d'écrire alors si je dois trouver la force pour remonter une pente quasi raide, je retomberai à chaque fois et plus j'essaierai, plus je creuserai un plus gros trou…» Mais le problème, c'est surtout que ce trou, je le creusais déjà et que je ne m'en rendais même pas compte.